1. AGENDA

Les 3 et 4 juin 2023, Denis Langlois participera au Salon du livre de Ceyrat (Puy-de-Dôme), près de Clermont-Ferrand.

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20 janvier 2022 : Parution de La Politique expliquée aux enfants de Denis Langlois, illustrée par Plantu. (Editions La Déviation)
Édition spéciale 1983-2022.

Avril 2021. "Le Voyage de Nerval" (Gérard de Nerval au Liban), récit de Denis Langlois, est paru le 15 avril 2021 aux éditions de La Déviation.

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Mai 2020 : Le livre "Pour en finir avec l’affaire Seznec" (La Différence) de Denis Langlois (avec un cahier-photos de 16 pages) à nouveau disponible en librairie.

24 septembre 2019

Les Éditions de La Différence publient "L’Affaire Saint-Aubin" de Denis Langlois, avec un cahier-photos de 16 pages.

Le 25 octobre 2018, les éditions SCUP-La Déviation publient une nouvelle édition complétée et illustrée de "Panagoulis, le sang de la Grèce" de Denis Langlois.

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ARCHIVES MILITANTES.

Nouvelles rubriques sur le site :

*La Ligue des droits de l’homme (1967-1971).

*La Fédération internationale des droits de l’homme (1968-1970).

*Les luttes militantes pour l’autodétermination du Pays Basque (1984-1997).

*La guerre dans l’ex-Yougoslavie (1991-1994).

Chapitre 2

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Juin 1998. Par désœuvrement j’assiste dans une salle du Sénat à un colloque sur le Moyen-Orient. À la tribune tendue comme il se doit de vert, les orateurs se succèdent : tous des représentants officiels de gouvernements et je sens vite l’ennui me gagner.

Profitant d’une suspension de séance, je sors pour m’installer dans un petit salon, un verre de jus d’orange à la main. Je regarde par la fenêtre les arbres du jardin du Luxembourg, quand une femme s’approche de moi. Assez rande, la soixantaine, tailleur violet strict, cheveux tirés en arrière par un chignon.

Vous êtes bien Maître Langlois ?Je devrais nier tout de suite. Machinalement j’acquiesce.

Est-ce que vous pouvez m’accorder un entretien ?

Avant que j’aie eu le temps de répondre, elle s’assoit dans un fauteuil en face de moi. Son regard est vif, fiévreux, ses mots précipités comme si elle a peur de ne pas pouvoir les dire tous.

— Je suis Libanaise. Je vis depuis vingt ans en France,mais mon fils aîné Élias Kassem est resté là-bas. Pendant la guerre du Liban il a disparu. Aucune lettre depuis quinze ans, aucun coup de téléphone. Des réfugiés en France et en Suisse m’ont affirmé qu’il avait été massacré avec sa famille, sa femme et ses deux enfants, d’autres m’ont assuré qu’il était toujours vivant au Liban. Certains l’ont rencontré à Jounieh dans un couvent transformé en camp de réfugiés, puis tout récemment, il y a quelques mois, dans la montagne du Chouf. Pour des raisons de sécurité, je ne peux pas retourner au Liban, je serais engrave danger. Cependant j’ai besoin de savoir ce qu’il en est. Je voudrais que vous vous rendiez sur place pour procéder à une enquête.
— Mais je ne suis pas détective !

— Je sais. Mais vous avez écrit plusieurs livres sur la police et vous vous êtes opposé à la guerre du Golfe. Vous connaissez bien la région.

Je proteste, elle lance sur un ton péremptoire.

— Vous savez ce qu’est la guerre. J’ai confiance en vous.

C’est une flatterie et je devrais la prendre comme une flatterie, mais je suis déjà fasciné par la mission que le hasard est en train de me confier.
Lentement, je pose mon verre de jus d’orange.

Quand faut-il partir pour le Liban ? Elle relève une mèche échappée de son front.

Tout de suite si vous le pouvez.

Et pour combien de temps ?

— Aussi longtemps qu’il vous faudra pour retrouver la trace de mon fils. Afin de m’éviter de poser la question bassement matérielle que j’aurais eu du mal à poser, elle prend les devants.
— Est-ce que cinquante mille francs par mois vous conviendraient ?

Avec surprise, alors que je n’ai encore pris aucune décision, je m’entends répondre.
— Non, dix mille francs suffiront.
Elle s’étonne de la faiblesse du chiffre. Elle ne sait pas que, dans mon espoir d’une société où l’argent n’aurait plus d’importance, je n’ai pratiquement jamais demandé le moindre centime d’honoraires à qui que ce soit.

Une sonnerie. Le colloque reprend, mais je ne retourne pas dans la salle de conférences. Je finis mon verre de jus d ’orange et Madame Kassem me fixe un rendez-vous dans un restaurant dès le lendemain midi. Messagère du hasard,elle s’éclipse aussitôt discrètement.

Le lendemain, j’avoue que je ne sais pas très bien ce que je mange. Nous sommes dans un restaurant libanais plutôt chic et ce doit être bon, mais je me concentre sur les informations que me communique le hasard. J’ai sorti mon calepin pour prendre des notes, mais ce n’est pas nécessaire. Les mots s’enregistrent immédiatement dans ma tête.

Élias Kassem, le fils aîné disparu, a une quarantaine d’années. Il fait partie de la communauté libanaise catho­lique. Avant la guerre, il habitait avec sa femme et ses deux enfants le petit village de Maasser, au milieu de la montagne du Chouf. Dans toute la région, en 1982-1983,il y a eu des combats entre chrétiens et druzes musulmans. À Maasser, ce sont les chrétiens qui ont été massacrés. La femme d’Élias et ses deux enfants sont morts, la Croix-rouge l’a confirmé, mais Élias a été aperçu vivant à plusieurs endroits et d’une façon sûre, il y a une douzaine d’années, au couvent Notre-Dame de Jounieh.

C’est là que, dans un premier temps, je dois me rendre. Après, tout dépendra de ce que je découvrirai.

Pourquoi moi ? Je l’ai enfin compris. Un étran­ger, et surtout un Français, peut mieux circuler qu’un Libanais appartenant forcément à l’une des communautés religieuses.

— Il aurait mieux valu confier ce travail à un avocat parlant arabe.

— Non, s’écrie Madame Kassem. Il serait immédia­tement suspect. De toute façon, même si, du fait de la guerre, on parle de moins en moins français au Liban, vous trouverez toujours quelqu’un pour vous comprendre. Quand pouvez-vous partir ? Les choses sont claires. Le hasard au tailleur violet et aux cheveux tirés en arrière me signifie que la situation urge. Je n’ai rien de particulier à faire. Je suis libre, prêt à tout. Je me lance.

— Dans une dizaine de jours, ou même avant si c’est possible.

— Alors, dit le hasard, je vais téléphoner au couvent Notre-Dame. Depuis la fin de la guerre, une partie des bâtiments a été aménagée pour recevoir des pension­naires. Vous verrez, c’est un édifice perché sur un pain de sucre, au milieu des arbres, juste au-dessus de la baie de Jounieh. Pas le temps de réfléchir à l’incongruité de la propo­sition : un mécréant gauchisant chez les bonnes Sœurs, Madame Kassem sort d’un étui de tissu rouge son télé­phone portable.

— J’appelle au Liban la Mère Supérieure du couvent. Trente secondes plus tard, par-dessus la Méditerranée, la Mère supérieure est là.

Elles parlent en arabe et je ne comprends rien, sauf un moment où il y a une discussion assez serrée sur le prix de ma pension.

Madame Kassem repose son téléphone, le range dans son étui rouge.

— C’est d’accord. À partir de demain si vous le vou­lez. Votre pension est de 800 dollars par mois. La Mère supérieure n’a confiance ni dans les francs ni dans les chèques, elle veut du liquide, des billets verts. J’ai dit que vous étiez écrivain et que vous veniez pour écrire un livre sur les réfugiés de la guerre. Cela vous facilitera le travail.

Elle me signe un premier chèque, puis me remet une carte avec son adresse à Paris et son numéro de téléphone.Je ne suis pas étonné qu’une nouvelle fois elle me quitte rapidement et s’engouffre dans un taxi. Les habitudes du hasard.

Erreur, elle réapparaît deux minutes plus tard.

— Excusez-moi, j’ai oublié de vous remettre ce petit dossier.

Elle ressort encore plus précipitamment. J’ai entre les mains une enveloppe beige. Je l’ouvre : une carte d’iden­tité périmée au nom d’Élias Kassem, né le 23 mars 1955 à Maasser-ech-Chouf, et une photo, celle d’un homme âgé d’alors à peine trente ans, teint foncé, front haut sous des cheveux courts, menton volontaire, légère moustache et sourcils noirs épais. La photo sans doute trop posée lui donne un regard un peu fixe dont il est difficile de se détacher. Des yeux où on lit le drame avant qu’il ne soit arrivé. Incontestablement il fait partie lui aussi de la famille du hasard.

Je ne perds pas de temps. Dès l’après-midi je vais retirer un visa au consulat du Liban. Le lendemain, je me fais vacciner contre la typhoïde et la fièvre jaune, preuve que je tiens encore un peu à la vie. Je demande à ma banque une carte me permettant de retirer des billets verts pour la Mère Supérieure. Et je prépare mes bagages.



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